Il fait gris et froid alors c'est le moment pour moi de publier à nouveau la nouvelle que j'avais écrite pour Halloween. Bonne lecture !
Hôtel
Thanatos
Alex était perdu. Cela faisait
des heures qu’il cherchait le chemin de randonnée pour redescendre de cette
foutue montagne. Quelle idée il avait eu de se lancer dans cette excursion tout
seul !
Ce matin, à son
réveil, il s’était dit qu’il ferait bien une petite balade, à la fraiche. Sous
la douche, l’envie d’une simple promenade s’était muée en besoin de dépense
physique au grand air. Quitte à chausser ses grosses chaussures de marche
autant que ce soit pour plus d’une heure. Il avait préparé son sac avec un
pique-nique léger pour le repas du midi. Il ressentait la fébrilité et
l’excitation qui l’animaient la veille d’une compétition. Cela faisait plus
d’un mois qu’il n’avait pas fait de course, trêve estivale oblige, alors il
était en manque de défi. Le mont Merclès[1]
s’était imposé comme une évidence.
Il avait gravi
jusqu’au sommet en empruntant le piste de randonnée GR 27. Une fois arrivé en
haut, il s’était abîmé dans la contemplation de la vallée. Le spectacle était
splendide ! Une vraie vue de carte postale. Puis il s’était éloigné des
sentiers battus. Il avait envie de découvrir la nature sans trace
d’intervention humaine.
Il avait pris
son repas frugal, à l’abri d’un arbre, assis sur un gros rocher. Puis il
s’était longuement promené dans les bois qui couvraient le flanc de la
montagne. Il avait ainsi pu observer des oiseaux et d’autres animaux qu’on ne
pouvait pas voir en restant sur le GR 27.
Lorsqu’il avait
été temps de retrouver la civilisation, il avait voulu rejoindre le chemin. Il
avait tourné pendant des heures sans succès. C’était pourtant un randonneur
aguerri… Mais il avait oublié sa boussole et, sans elle… La panique avait
commencé à le gagner quand il s’était aperçu que le jour déclinait. Il avait
même essayé d’appeler à l’aide mais personne n’était venu. Il avait donc
continué de marcher dans le sens qui lui paraissait aller en descendant.
La nuit
commençait à s’approprier les bois. Il fallait qu’il trouve un endroit où
s’abriter pour la nuit, puisqu’il fallait se rendre à l’évidence : il ne
pourrait retrouver son chemin maintenant. Heureusement, il emmenait toujours
une couverture de survie quand il partait en randonnée… Pour se nourrir, il
trouverait bien quelques fruits…
Alors qu’il
avait perdu tout espoir de rejoindre le GR 27, une immense masse sombre se
dressa devant lui. Il s’agissait de toute évidence d’une habitation. Soulagé,
il en fit le tour : si les habitants ne pouvaient ou ne voulaient pas
l’héberger, ils pourraient au moins lui indiquer comment redescendre de ce
fichu mont.
En atteignant
l’entrée, il découvrit que ce n’était pas une habitation particulière. Sur la
façade était accroché un grand panneau défraîchi qui annonçait :
« Hôtel Thanatos ».
-
Quel nom étrange pour un hôtel ! murmura
Alex.
Une petite lampe
éclairait chichement le porche. Le randonneur pensa dans un premier temps que
l’endroit était à l’abandon quand une lumière éclaira l’une des fenêtres. Il
grimpa les trois marches qui le séparaient de la porte et se décida à frapper.
Le silence fut suivi de bruit de pas traînants. Enfin, une clé tourna dans la
serrure et le battant s’ouvrit. Une vieille femme, toute vêtue de noir, se
tenait sur le pas de la porte. Elle le fixait de ses yeux sans expression.
- - Euh… excusez-moi, Madame. Avez-vous encore des
chambres de libre ?
- - Mais bien sûr jeune homme, répondit-elle avec un
sourire qui glaça le sang d’Alex. Entrez donc !
Le jeune homme
passa donc devant l’hôtesse en se disant qu’il ne resterait que le temps
nécessaire dans cet endroit et pas une minute de plus. Et ce qu’il découvrit en
entrant dans l’établissement confirma son premier sentiment. Il se trouvait
dans un petit hall de style baroque vieillissant. Au fond de la pièce, se
trouvait le comptoir de la réception, qui ne devait pas avoir vu de chiffon
depuis des décennies. Sur la droite montait un massif escalier de bois aux
rampes ouvragées. Il se séparait en deux à mi-chemin et chaque nouvelle volée
de marches desservait les chambres en mezzanine à l’étage.
- - Bienvenue à l’hôtel Thanatos, Monsieur. Vous
voyagez seul ? Vous avez des bagages ?
- - Euh… oui, je suis seul. Et je n’ai que mon sac à
dos… A vrai dire, je me suis perdu en redescendant de la montagne. Je n’avais
pas vraiment prévu de dormir ici ce soir…
- - Eh bien, j’espère que vous apprécierez votre
séjour chez nous.
A petits pas
traînants, la tenancière se dirigea derrière le comptoir pour chercher la clef
de sa chambre. Alex nota que tous les trousseaux étaient accrochés sur le
tableau : l’hôtel n’accueillerait donc que lui pour seul client cette
nuit ! Sans savoir pourquoi, il se sentit mal à l’aise à cette idée.
- - Voilà Monsieur, la clef de la chambre numéro
treize. La nuit est à cinquante francs et nous demandons le règlement d’avance.
- - Cinquante euros, vous voulez dire ?
rectifia Alex.
- - Oui, oui sans doute, marmonna la vieille femme.
Si vous voulez bien me suivre…
Elle l’emmena au
premier étage de l’hôtel et s’arrêta devant une porte ornée d’un chiffre treize
gravé sur le battant.
- - Voilà Monsieur, dit la patronne en lui tendant
les clefs. Je vous souhaite la bonne nuit. J’espère que vous ne serez pas trop
dérangé.
- - Hein ?
Son
interlocutrice ne répondit pas et prit le chemin du rez-de-chaussée. Dépité, le
jeune homme glissa la clef dans la serrure et entra dans la chambre.
La pièce était
assez spacieuse mais sentait le renfermé. Le lit, au couvre-lit fleuri, était
installé face à la porte, une table de chevet de chaque côté. La haute fenêtre
donnait sur la forêt. L’occupant de la chambre disposait d’une armoire pour
ranger ses affaires. Une petite salle de bain s’ouvrait à sa droite, avec une
baignoire à l’ancienne. Le tout donnait une impression négligée, comme si les
lieux n’avaient pas été occupés depuis longtemps.
L’estomac d’Alex
gronda, lui rappelant qu’il n’avait rien mangé depuis le midi. Il aurait dû
demander à l’hôtesse s’il y avait un service de restauration et s’ils servaient
encore à cette heure tardive. Il posa son sac et se dirigea vers la table de
nuit où il aurait dû y avoir un poste téléphonique pour joindre l’accueil. Il
n’y en avait pas… Le jeune homme était perplexe. Cet hôtel était décidemment d’un
autre âge. Il soupira et allait redescendre à la réception quand il aperçut un
long cordon qui pendait à côté de la tête de lit. Intrigué, il tira dessus. Au
loin, résonna le tintement aigre d’une sonnette. Etait-ce là le moyen de
communiquer avec la tenancière de l’établissement ? Assurément oui car, à
peine quelques secondes plus tard, il entendit le pas traînant de la vieille
femme emprunter le couloir vers sa chambre. Deux coups secs furent frappés à sa
porte :
-
Monsieur a sonné ?
Alex ouvrit la porte.
-
Euh… oui… excusez-moi de vous déranger… Je
voulais savoir si vous serviez des repas…
-
Bien sûr, Monsieur. En revanche, étant donné
l’heure tardive, vous voudrez bien comprendre que je ne puis vous proposer une
multitude de plats. Ce sera donc le plat du jour.
-
Bien… je comprends évidemment.
-
Vous serez servi dans la salle de repas dans un
quart d’heure.
-
Très bien !
Tout heureux de
pouvoir se restaurer, Alex ne prit même pas la peine de demander en quoi
consistait le plat du jour.
Il mit déjà un
certain temps à trouver la salle de restaurant, celle-ci n’étant pas éclairée
et située au bout d’un couloir sous l’escalier. Il découvrit l’interrupteur et
s’installa à la seule table où les couverts avaient été dressés. Un peu
inquiet, il attendit qu’on veuille bien le servir.
L’hôtelière ne
le fit pas patienter trop longtemps. A peine avait-il déplié sa serviette
qu’elle lui amena une assiette fumante. Son estomac gronda de plus belle. Mais
son appétit fut vite freiné quand le fumet du plat lui parvint aux narines.
L’odeur était indéfinissable : entre vieilles chaussettes et choux
pourris. Et du chou, il y en avait ! Le plat du jour consistait en un
écrasé de cervelle de veaux et un mélange de choux.
Alex savait
qu’il n’y avait que cela à manger et il mourrait de faim. Il se fit donc
violence pour avaler au moins les légumes. Le goût était immonde. Il n’était
déjà pas très friand de ce crucifère mais sa cuisson ne rendait pas les choses
faciles. Et que dire de la cervelle… Si le randonneur et le voyageur qu’il
était n’était pas contre la nouveauté, manger le cerveau à peine cuit d’un
animal ne faisait pas partie des expériences qu’il avait envie de tenter.
La restauratrice
revint au bout d’une quinzaine de minutes et, voyant qu’il avait repoussé son
assiette, conclut qu’il avait terminé. Elle débarrassa avec une moue indignée
quand elle nota qu’il n’avait pas terminé son plat.
-
Un dessert, Monsieur ? Comme pour le plat,
nous n’avons qu’un seul choix : gâteau de riz au lait.
Alex hésita.
Néanmoins, il avait encore très faim… Il accepta donc.
Le gâteau, lui
non plus, n’était pas assez cuit. Et il rappela désagréablement au jeune homme,
le plat qu’il venait de manger. Il réussit toutefois à le finir, se forçant à
ne pas penser à ce que cela lui évoquait.
Son hôtesse lui
proposa un café qu’il refusa poliment, préférant monter dans sa chambre pour
enfin prendre un repos bien mérité.
*****
Les draps le grattaient. De
temps à autre, une branche, agitée par le vent, venait frapper la fenêtre de sa
chambre. Le goutte-à-goutte du robinet de la baignoire qui fuyait allait le
rendre dingue. Lui qui était si fatigué, n’arrivait pas à trouver le sommeil…
Il se sentait oppressé et inquiet. Pour un peu, il aurait préféré dormir à la
belle étoile…
Soudain, un
grand fracas le fit sursauter. Alex s’attendit presque à entendre quelqu’un
crier tant il était persuadé qu’on était tombé dans l’escalier. Le cœur
battant, il suspendit sa respiration et tendit l’oreille. Il n’y avait pas un
bruit dans l’hôtel. Finalement, il avait peut-être rêvé…
Il allait se
réinstaller confortablement quand un nouveau bruit de chute retentit. Il se
redressa brutalement. Cette fois, il était sûr de ce qu’il avait entendu. Il se
leva en catastrophe, manquant de tomber sur la carpette miteuse. Il se
précipita à la porte.
Alors qu’il
allait ouvrir, il s’arrêta net. Qu’était-il en train de faire ? Apparaître
en caleçon dans le couloir parce qu’il avait entendu un bruit étrange ?
Non mais vraiment, cet endroit bizarre lui montait à la tête.
Il fit demi-tour
et reprit le chemin du lit. Un cri strident lui glaça le sang. Mais bon sang,
que se passait-il ici ?
Il enfila son
pantalon, son tee-shirt et ses chaussures. Puis, sur la pointe des pieds, il
sortit de sa chambre. La sueur lui coulait le long du dos. Il était terrifié
mais, si quelqu’un était mal pris, il devait lui porter secours. Peut-être son
hôtesse avait-elle chutée dans la cuisine ou l’escalier… Peut-être était-elle
gravement blessée…
Le couloir lui
parut deux fois plus long que quelques heures plus tôt. Des ombres menaçantes
grimpaient sur les murs. Le sang lui battait aux tempes. Le plancher craqua
sous ses pas. Il s’arrêta, haletant.
Quand il arriva
en haut de l’escalier, il se demanda si tout cela n’était en définitive pas le
fruit de son imagination. Dans le hall, tout semblait calme. Les lumières
étaient éteintes. Seule une petite veilleuse éclairait chichement la réception.
Se traitant d’imbécile, il fit demi-tour. Un nouveau hurlement monta des cuisines.
- - Mais c’est pas vrai ! Quelqu’un se fait
égorger ou quoi !
Il dévala les
escaliers. Arrivé en bas, toutes les lumières s’allumèrent toutes seules.
Ebloui, il resta quelques instants planté dans l’entrée de l’hôtel. Quand ses
yeux se furent enfin adaptés, ce fut pour contempler une vision d’horreur. Un
corps était pendu là, au grand lustre du hall. Affolé, il détourna le regard.
Quand il eut enfin le courage d’ouvrir à nouveau les paupières, le cadavre
avait disparu et les lumières étaient de nouveau éteintes.
- - Je deviens barge, ma parole ! Allez, ça
suffit ! C’est le manque de sommeil qui me fait disjoncter…
Lentement, il
remonta l’escalier. Il sentait déjà le sommeil alourdir ses paupières. Il
regagna sa chambre et claqua la porte derrière lui. Il poussa un profond
soupir.
Dans la salle de
bain, le robinet laissait toujours échapper une goutte à intervalles réguliers.
Alex allait pour essayer de juguler la fuite quand le bruit l’interpella. Les
gouttes ne tombaient pas sur la faïence de la baignoire mais dans de l’eau. Se
pouvait-il, qu’en plus de fuir, la baignoire soit bouchée ? Il devait
vérifier, il n’avait pas vraiment envie de se réveiller les pieds dans l’eau
demain matin !
-
La soirée de merdre ! maugréa le jeune
homme.
La baignoire
était remplie. Les yeux d’Alex se fixèrent sur la goutte brillante qui pendait
au robinet. Elle s’allongea, s’étira et finit par se détacher. Il suivit sa
chute jusqu’à la surface lisse qu’elle troubla de quelques vaguelettes
concentriques.
Alex s’approcha
doucement. L’eau était vaguement rosée. Sous la surface, une femme le regardait
de ses yeux morts. Il recula brutalement et se cogna le dos au lavabo.
- - Bordel !
Tremblant de
tous ses membres, il se dirigea au ralenti vers la baignoire. Elle était
vide : ni eau, ni cadavre.
-
Bon allez, ça suffit ! Je me tire
d’ici !
Il récupéra son
sac à dos et sortit à nouveau de la chambre. Il fut accueilli dans le couloir
par un nouveau hurlement hystérique provenant du rez-de-chaussée. Il ne pouvait
pas laisser la vieille femme en difficulté. Si tant est que ce ne soit pas
encore son esprit embrumé qui lui jouait des tours…
Voulant en avoir
le cœur net, il regagna le hall et contourna le massif escalier en direction
des cuisines d’où semblaient venir les cris. Alors qu’il longeait le mur,
celui-ci se déforma. On aurait cru qu’il était en toile et que des corps se
pressaient contre le tissu. Un violent courant d’air fit claquer les portes.
- - Oh putain ! Oh putain !
Le phénomène
s’arrêta. Après tout ce mur n’était qu’un mur… un mur décrépi mais un simple
mur…
Les appliques,
accrochées à la cloison tout le long du couloir, s’allumèrent les unes après
les autres. La lumière devint de plus en plus forte, trop violente pour qu’Alex
puisse garder les yeux ouverts. Alors qu’un nouveau cri résonnait dans la
cuisine, les ampoules explosèrent dans une gerbe d’étincelles.
-
Mais qu’est-ce qu’il se passe ici, bordel ?
hurla le jeune homme.
De nouveau, seul
le silence lui répondit. Il était tétanisé, tenaillé entre l’envie d’en finir
avec ce cauchemar et la peur de découvrir d’autres choses horribles. Mais ce
n’était pas le genre d’homme à renoncer. Il inspira un grand coup et reprit sa
lente ascension dans le corridor. Devant la porte de la salle de repas, il se
demanda s’il ne ferait pas mieux de quitter cet endroit.
-
Mais bien sûr ! Tu vas aller t’aventurer en
pleine nuit dans la montagne ! murmura-t-il pour lui-même. Très
intelligent !
En fait, son
esprit cartésien ne cessait de penser qu’il y avait forcément une explication
rationnelle à tous ces phénomènes. Une surtension électrique pour la lumière.
Des effets d’optique pour les murs. Et peut-être le vent sur la vieille
charpente pour les cris…
Il poussa
doucement la porte battante, qui grinça sur ses gonds. Ce n’était plus la salle
de restaurant dans laquelle il avait déjeuné. C’était une salle de bal style
dix-neuvième siècle avec des chandelles et des nappes blanches sur les tables.
Des couples en smoking et robes du soir y étaient installés. Un ensemble à
cordes jouait une valse dans un coin de la pièce. Une femme tourna la tête vers
lui. Il remarqua avec horreur qu’elle avait la moitié du visage brûlé, comme
fondu. Un trou rond perçait sa tempe. Elle lui sourit et il put voir les
muscles de ses mâchoires saillir.
Toujours sur le
pas de la porte, il laissa le battant se refermer, lui masquant la vision
cauchemardesque.
Que devait-il
faire ? Son cerveau refusait de fonctionner logiquement. Son instinct de
survie lui commandait de prendre ses jambes à son cou mais sa curiosité voulait
savoir ce qui se tramait dans cet endroit.
Ce fut cette
dernière qui l’emporta. Il poussa à nouveau la porte. La salle de restaurant
était telle qu’il l’avait vue au moment d’y dîner : vieillotte et
défraîchie. Il la traversa en toute hâte pour atteindre ce qu’il pensait être
les cuisines. Quand il y entra, il fut d’abord aveuglé par une violente lumière
blanche. Il trébucha et se cogna la tête, perdant connaissance quelques
secondes.
****
Quand il se réveilla, il était couché sur une surface dure dans
l’obscurité. Il essaya de se relever, sans y parvenir, car une main à la poigne
de fer appuyait sur sa poitrine pour l’empêcher de se redresser.
-
Quésss qui s’passe ? marmonna-t-il encore
embrumé par sa chute.
Il porta la main
à son front et l’en retira légèrement gluante. Il devait saigner…
Il releva la
tête, bien déterminé à voir qui voulait qu’il reste immobile. Dans un premier
temps, il ne fut pas très sûr de ce qu’il voyait. Après tout, il s’était payé
un grand frisson dans cette espèce de maison hantée et il venait de se taper la
tête sur un meuble. Il avait de quoi douter de ses facultés.
Une grande forme
noire drapée dans une sorte de suaire se tenait debout à côté de la table de la
cuisine sur laquelle il était allongé. Dans sa main gauche, elle tenait une
faux et dans la droite, ce qui ressemblait à un bidon d’essence.
-
Es-tu prêt pour l’autre monde ?
grinça-t-elle.
-
Hein ? ne put qu’ânonner Alex.
-
Je te demande si tu es prêt à passer de l’autre
côté.
-
Je n’ai rien demandé, moi ! Putain, c’est
quoi ce cauchemar ? Je vais me réveiller dans mon lit. Je vais me
réveiller dans mon lit, répéta-t-il en fermant les yeuxsi fort qu’il en voyait
des étoiles.
La pression sur
sa poitrine se relâcha et il put enfin s’assoir. Mais il se retrouva ainsi à
moins de trente centimètres de la monstrueuse silhouette. Il pivota sur ses
fesses et descendit de la table dans une piètre cascade. Alors qu’il
s’apprêtait à rejoindre la porte, il vit ce sur quoi il avait trébuché quelques
instants plus tôt : le cadavre d’un homme portant une toque. Il dégageait
une forte odeur d’amande amère. La tête du cuisinier pivota vers lui en
grinçant.
-
Je n’en pouvais plus de servir toujours le même
plat tous les soirs… Et Alice qui m’avait quitté…
Alex était
pétrifié. Il savait que la mort était juste derrière lui. Il secoua la
tête : non, il n’était pas question qu’il se laisse aller. Il prit alors
ses jambes à son cou.
Dans le hall, la
lumière était à nouveau allumée. Un homme se tenait debout, en équilibre sur la
rambarde de l’escalier. Une lourde corde pendait à son cou et était nouée à la
rampe. Avec un regard résigné en direction d’Alex, il se laissa tomber dans le
vide.
-
Nooooonnnn ! rugit le jeune randonneur.
Il se précipita
pour essayer de secourir le suicidé.
-
C’est trop tard pour moi, l’ami ! Je suis
mort depuis bien trop longtemps, annonça le mort d’une voix caverneuse.
Alex hurla de
terreur et prit la fuite. Il se heurta à la tenancière de l’hôtel qui lui
bloquait l’accès à la porte.
-
Un problème, Monsieur ?
-
Il ne faut pas rester ici ! brailla Alex.
Je ne sais pas ce qu’il se passe, mais… ce n’est pas normal…
-
Je ne comprends pas, Monsieur. L’endroit est
parfois un peu bruyant. Mais nos clients sont en général satisfaits de leur
séjour…
-
Laissez-moi passer, s’écria le jeune homme
voyant que la vieille femme ne comprenait pas ce dont il avait été témoin cette
nuit. Je me tire !
Il se retrouva,
sans vraiment savoir comment, sur le perron de l’hôtel.
Au bout de dix
minutes de course effrénée dans la pénombre, il s’arrêta pour reprendre son
souffle. Il se retourna en direction de l’hôtel. Il n’arrivait pas à le
distinguer à travers les arbres mais il sentait encore son ombre maléfique sur
lui.
Frissonnant, il
prit la direction de la civilisation.
****
Alex marcha encore une bonne heure avant d’arriver en vue
du premier village. Dans l’aube grise, il n’y avait pas âme qui vive. Il
aperçut néanmoins un vieux berger muni de sa canne, qui prenait le chemin de la
montagne, sans doute pour rejoindre les pâturages.
-
Holà mon ami !
Vous descendez du Mont à cette heure-ci ? Vous avez passé la nuit au grand
air ? demanda-t-il rigolard, pensant sans doute avoir affaire à un
randonneur du dimanche.
-
Pas vraiment non…
J’aurais préféré… Dites, vous savez où je pourrais passer un appel urgent.
Le vieil homme haussa un sourcil.
-
Un problème ?
-
Je crois que j’ai
assisté à un meurtre…
-
Un quoi ? Oh
Bonne Mère ! Mais où donc ?
-
A l’hôtel Thanatos.
Le berger se renfrogna.
-
C’est pas beau de se
moquer Monsieur !
-
Mais je n’ai nullement
envie de plaisanter ! Si vous saviez ce que j’ai vu là-haut !
-
Cet hôtel est fermé
depuis plus de quatre-vingt-dix ans ! C’est une ruine ! Il ne reste
plus que des pierres.
-
Mais non ! Vous
devez confondre ! J’y ai loué une chambre !
-
L’endroit est abandonné depuis que le
propriétaire s’est pendu !
-
Que… Que…
-
Je vous dis que l’hôtel est fermé depuis des
décennies ! Vous êtes sourd ou quoi ? Il y a eu plusieurs suicides. Si
bien que l’hôtel était devenu une attraction… Le propriétaire ne l’a pas
supporté… Il s’en pendu dans le hall. Sa femme a essayé de continuer sans lui
mais elle a fait faillite dans l’année…
-
Mais non, vous devez vous tromper…
-
Très bien. Si vous voulez me faire une mauvaise
plaisanterie, nous allons vérifier ensemble. S’il y a un mort, il ne va pas se
sauver de toute façon…
****
Devant
le tas de gravats sur lequel la végétation commençait à reprendre ses droits,
Alex dut se rendre à l’évidence : tout ce qu’il avait vécu cette nuit ne
pouvait pas avoir existé.
Avisant l’enseigne de l’hôtel qui dépassait des pierres, il
ne put que se demander : mais que s’était-il réellement passé ?
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