Chloé se réveilla en ce samedi matin avec une étrange sensation de
déjà-vu.
Elle se leva et prit son petit déjeuner avec ses
parents et son frère, comme d’habitude. Alors qu’elle beurrait sa tartine de
pain grillé, son cadet se leva pour réchauffer son bol de lait au four
micro-ondes.
- - Attention, tu vas renverser ton chocolat, marmonna
Chloé.
- - Hein ? demanda Arthur.
Il trébucha et le bol lui échappa des mains pour se
briser sur le carrelage de la cuisine.
Comment avait-elle su qu’il allait faire tomber sa
boisson ? L’aurait-il fait tomber si elle n’avait rien dit ?
Le regard étonné d’Arthur passa de la flaque de
liquide chaud à sa sœur.
Leurs parents ne s’attardèrent pas sur l’incident. En
effet, le portable de Chloé, caché dans la poche de son peignoir, venait
d’émettre le petit sifflement caractéristique de la réception d’un texto.
-
On avait dit pas de portable à table !
gronda son père.
- - J’ai fini de toute façon, répondit la jeune
fille en se levant et débarrassant sa place.
Alors qu’elle montait l’escalier
menant à sa chambre, elle consulta son téléphone. Le numéro de l’expéditeur
n’était pas dans son répertoire. Intriguée, elle ouvrit le message. Rien… Une
page noire… Sans plus attendre, elle l’effaça.
Une fois dans sa chambre, elle alluma l’ordinateur.
Puis, elle se dirigea dans la salle de bains attenante pour prendre sa douche.
Quand elle revint à son bureau, le PC était allumé. L’îcone de sa messagerie
indiquait qu’elle avait un nouveau message. Elle s’assit et ouvrit le
programme. Elle ne connaissait pas l’adresse mail, composée d’une série de
chiffres et de lettres. L’objet du message était on-ne-peut-plus étrange :
« si vous lisez ce message… ». Quand elle l’ouvrit, après mûre
réflexion, elle n’eut qu’une page entièrement noire, comme pour le texto…
Chloé fronça les sourcils. Bizarre… Un autre mail
arriva dans sa boîte de réception, détournant son attention de la communication
énigmatique. Son amie Emilie lui proposait d’aller au cinéma, en fin d’après-midi.
Elle venait d’avoir le permis et elle voulait étrenner sa voiture neuve. Chloé répondit positivement à l’invitation
avant de fermer sa boîte mail.
Elle
allait commencer la dissertation de philosophie sur laquelle elle avait prévu
de plancher jusqu’au déjeuner quand la sonnerie de notification de son
téléphone retentit. Sans savoir pourquoi, elle frissonna. Peut-être était-ce dû
au contact de ses longs cheveux blonds encore humides dans son dos ?
Son malaise s’accentua quand elle vit que l’expéditeur
du texto était le même que quelques instants plus tôt. Fébrile, elle ouvrit le
message. Cette fois, sur le fond noir, quelques mots épars se
dessinaient :
Mais
qu’est-ce que c’était ? Un message codé ? Un spam ? Elle appuya
rageusement sur « supprimer ». Elle avait autre chose à faire que
rentrer dans le jeu d’un quelconque idiot désireux de se payer sa tête.
A la fin de la matinée, elle
s’étira : elle avait terminé le brouillon de sa dissertation. Une bonne
chose de faite ! Elle regarda sa montre : midi ! Peut-être sa
mère avait-elle besoin d’aide pour la préparation du repas ?
Elle
fut surprise par le silence qui régnait au rez-de-chaussée quand elle descendit
l’escalier. Son étonnement grandit quand elle comprit qu’elle était seule dans
la maison. Elle appela, mais personne ne répondit. Elle se laissa tomber sur le
canapé avec un soupir de mécontentement : ils auraient dû prévenir qu’ils
sortaient ! Ils étaient sans doute partis faire des courses et n’avaient
pas voulu la déranger pendant qu’elle travaillait.
Elle
se saisit de la télécommande et alluma le poste pour tomber sur une émission de
télé-réalité. Un médecin, le bas du visage caché par un masque, était penché
sur un patient. Tel que c’était filmé, on avait l’impression de voir à travers
les yeux de celui qui était couché sur la table d’opération. Chloé zappa très
rapidement : elle détestait ces programmes voyeuristes. Elle fit défiler
les chaînes et trouva une série policière qu’elle aimait beaucoup.
Soudain,
l’image se figea puis devint noire. Comme sur l’écran d’ordinateur, quelques
heures plus tôt, un étrange message apparut :
Effrayé, Chloé jeta la télécommande
sur la table basse et la télévision s’éteignit.
- - Mais qu’est-ce que c’est que ce
truc ??!
Elle soupira encore… Elle était si
fatiguée avec le bac qui approchait qu’elle avait sans doute des
hallucinations.
Une crampe lui tordit le ventre. La
faim sans doute… Elle se leva et se confectionna un sandwich avec ce qu’elle
trouva dans le frigo. Au passage, elle attrapa le tas de magazines que sa mère
conservait sur le comptoir de la cuisine. Au moins, avec les potins, elle ne
risquait rien de plus qu’un ennui mortel. Elle s’affala à nouveau sur le sofa,
posa son frugal repas sur la table basse avant de se lancer dans la lecture des
dernières nouvelles des peoples.
Elle
dût s’endormir car elle rêva qu’elle était dans le noir total. Elle entendait
autour d’elle des voix lontaines :
- - Elle ne réagit pas…
- - Peut-être lui faut-il un peu plus de
temps…
- - Le dispositif ne tiendra pas plus de
quatre heures…
Chloé essayait de parler, de demander
ce qu’il se passait. Mais ses lèvres étaient scellées, aucun son ne sortait.
Bientôt, elle ressentit une vive douleur dans la poitrine. Le souffle lui
manqua. Elle se débattit dans ce corps qui ne voulait pas bouger.
Puis, elle se réveilla enfin. Elle
était tombée du canapé sur lequel elle s’était assoupie. Elle regarda sa montre
et pesta : Emilie arrivait dans moins d’un quart d’heure et elle n’était
pas prête.
Elle se leva maladroitement,
endolorie par sa chute sur le carrelage, et courut se préparer.
Dans
la petite voiture rouge de son amie, Chloé n’était pas très à l’aise. La
sensation de déjà-vu qui la poursuivait depuis ce matin lui nouait les
entrailles. L’impression était de plus en plus forte.
Au volant, Emilie n’arrêtait pas de
parler, ne semblant pas voir le malaise de sa passagère.
- - Et là, il me dit : je ne t’ai
jamais rien demandé ! Non mais le culot de ce type ! Tu te rends
compte !
- - Euh, je me rends surtout compte que
tu ne regardes pas devant toi…
- - T’inquiète, je gère !
Au même moment, la sonnerie de
notification du portable de Chloé retentit. Elle sortit le téléphone de son
sac : toujours le même expéditeur. Elle ne voulait pas ouvrir ce message.
Pourtant, une petite voix lui disait qu’elle devait le faire, que c’était
important.
Sourde au bavardage de sa copine, le doigt tremblant, elle
cliqua sur l’icône de l’enveloppe :
Au même moment, elle fut projetée en
avant, la ceinture de sécurité lui rentra douloureusement dans la poitrine. La
voiture se mit à déraper dans un hurlement de freins et Chloé vit avec horreur
un énorme camion se précipiter vers eux du côté conducteur.
En une fraction de seconde, elle
comprit ce qui s’était produit : Emilie avait grillé le feu rouge et le
chauffeur de l’autre véhicule ne pouvait pas freiner. Elles allaient avoir un
accident. Elles allaient être broyées dans le métal de la carcasse de la
voiture. Elles… Elles…
Dans un silence irréel, la voiture
s’immobilisa. Le camion avait réussi à stopper à quelques centimètres de la
portière d’Emilie. Cette dernière, inconsciente de la chance qu’elle avait eu,
hurla à l’attention du routier :
- Tu
pouvais pas faire gaffe, connard !
Puis
elle redémarra en trombe.
Chloé
était tétanisée. Tout son corps lui faisait mal. Elle baissa les yeux sur ses
mains pour constater qu’elles étaient couvertes de sang. Elle cligna des yeux
et le sang disparut.
La
bile lui monta dans la bouche.
- Non
mais quel abruti ! Je suis passée à l’orange, il n’avait pas à avancer !
- Je
crois que tu es passée au rouge Emilie… murmura Chloé.
- Meeuuhhh
non ! Tu as rêvé ! En tout cas…
Et la
jeune fille reprit son bavardage insouciant.
Chloé avait l’impression
de manquer d’air. Elle entendait une sirène au loin alors qu’il n’y avait ni
pompier, ni ambulance en vue. Elle entrouvrit la fenêtre mais ce ne fut que
lorsque la voiture s’immobilisa sur le parking du cinéma qu’elle put enfin
respirer correctement.
Après avoir pris leurs billets, les deux jeunes filles s’installèrent
dans la salle de projection. Chloé se sentait maintenant différente. Si toute
la journée, elle avait eu une sensation de déjà-vu, elle avait maintenant
l’impression de subir tout ce qui se passait autour d’elle. Elle ne se sentait
plus actrice de sa propre vie.
Ses
oreilles bourdonnaient et elle entendait des voix lointaines, comme l’écho
d’une soirée trop bruyante.
Le
film démarra et elle essaya de se concentrer dessus. Soudain, les images se
figèrent. Chloé eut un hoquet de terreur : sur le grand écran, le curieux
message qui la poursuivait depuis le matin, apparut enfin en totalité.
La
jeune fille regarda autour d’elle, paniquée. Emilie et les autres spectateurs
continuaient de regarder le film, comme si de rien n’était. Ils riaient d’une
scène apparemment comique. Etait-elle donc la seule à voir le message ? Elle
eut envie de hurler.
- - Chloé !
cria quelqu’un au loin.
La
jeune fille secoua la tête, elle se sentait maintenant étrange, comme flottant
au-dessus de son propre corps.
- - Chloé,
si vous nous entendez, ouvrez les yeux !
Le
message sur l’écran de cinéma clignotait. Ses grandes lettres blanches se
détachaient du fond noir et brûlaient sa rétine. Elle ferma les yeux, éblouie.
Quand elle ouvrit, elle n’était plus dans la salle de cinéma
mais allongée sur un lit. Elle comprit aussitôt qu’elle n’avait pas échappé à
l’accident de voiture. Pire, il avait eu lieu dix ans plus tôt et, depuis, elle
était clouée sur un lit d’hôpital.
Un
médecin, le bas du visage masqué, était penché sur elle et ses yeux rieurs
semblaient indiquer qu’il lui souriait.
- - Bienvenue
parmi nous, la Belle au Bois dormant !
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