Extrait Association Genius



 

Association Génius est mon premier roman, publié aux Editions du Futur en 2010. Il est malheureusement épuisé mais j'avais envie de partager avec vous un extrait car, d'une part, il vient en préambule de Némésis 2.7 et, d'autre part, il y a toujours une possibilité pour qu'il soit édité un jour au format numérique.

Dites-moi si vous aimez et si vous seriez intéressé pour une version numérique ;-)


1
Tristan était euphorique. Il était cinq heures du matin. Les talons de ses bottes claquaient dans le silence de la nuit. Il n’y avait pas un chat mais il ne craignait rien : les rues d’Océanopolis, l’île artificielle, étaient parmi les plus sûres du monde, avec les conducteurs d’auto-propulse qui faisaient régulièrement des rondes. Et bientôt, il ferait partie de ceux-là !

 
La soirée avait été plutôt arrosée. Ses amis de l’académie d’auto-propulse et lui avaient écumé les bars, pour fêter comme il se doit leur succès au concours d’entrée. Cette année de préparation à l’examen avait été dure mais payante finalement, il avait réussi !
Depuis qu’il était arrivé à Océanopolis, deux ans plus tôt, en 2028, il n’avait eu qu’une ambition : rejoindre les rangs de la garde motorisée de l’île. Cet endroit lui avait ouvert toutes les portes. Enfant, jamais il n’aurait cru qu’il pourrait vivre sur une île entièrement créée par l’homme. Il avait été emballé par le projet du gouvernement français de créer une île artificielle au large des côtes de l’hexagone pour pallier au surpeuplement. Ainsi Océanopolis avait jailli des eaux.
Il atteint enfin son immeuble, un building high-tech. Une fois chez lui, il s’effondra tout habillé dans son lit. Il avait hâte de contacter ses proches pour leur annoncer la grande nouvelle. Mais d’une part, il ne pouvait pas les appeler en pleine nuit et d’autre part, s’il ne dormait pas un peu, il serait incapable d’aligner plus de deux mots. Il tomba dans les bras de Morphée à peine sa tête eut-elle touchée l’oreiller.
La lumière du jour inondant sa chambre le réveilla à peine deux heures plus tard. Le soleil se levait au-dessus de la mer. De son lit, par la baie vitrée de sa chambre, Tristan contempla ce magnifique tableau : la mer à perte de vue derrière les buildings de verre. Il ne se lassait jamais de ce spectacle.
La nuit avait été courte. Il était tellement excité que, malgré les abus de la soirée, il ne ressentait aucune fatigue. Il avait envie de sauter partout, comme un enfant. Il brûlait d’impatience d’entendre sa mère au bout du fil.
Il avait essayé de joindre sa petite sœur, de deux ans sa cadette, qui habitait à deux pas, pour en parler au moins à une personne tant il se consumait de le crier sur les toits. Malheureusement, elle ne répondait pas à son portable et quand il était passé devant son immeuble, toutes les lumières étaient éteintes.
N’y tenant plus, il repoussa les draps, roula sur le côté et se saisit de son visiophone sur la table de nuit. Il prononça « parents » pour que l’appareil compose automatiquement le numéro. Le mode Visio n’était pas activé. La voix ensommeillée de sa mère répondit (il n’était que sept heures du matin) :
Oui, allô ?
Maman, c’est moi.
Bonjour Poussin. Tu vas bien? Pourquoi appelles-tu si tôt ?
C’est bon, je suis accepté, Maman ! Je commence le mois prochain.
Tu commenc… Mais c’est super ! Je suis si fière de toi, mon chéri ! Oh mon Dieu ! Mon fils à l’école d’auto-propulse ! Il va falloir qu’on fête cela ! Attends, je te passe ton père, il veut te parler…. Je t’aime fort.
(chuchotis et ronchonnement de son père à peine réveillé)
Bonjour mon grand. Alors comme cela, tu es pris ? Je n’en ai jamais douté tu sais ? J’en étais sûr.
Oui, je commence dans un mois.
Je suis très heureux pour toi, mon bonhomme. Ta mère va me rendre chèvre à force de répéter combien elle est fière de toi…Tu vas venir nous voir avant de rentrer à l’école ?
Je vais essayer mais je ne vous promets rien : j’ai énormément de choses à préparer…
Si vraiment tu n’as pas le temps, on va essayer, nous, de venir… Il faut vraiment marquer le coup. Tu le mérites, mon grand. Tu as tellement travaillé pour ton examen. Hein… Tu veux quoi?… Excuse-moi, ta mère me parle en même temps. Je vais te la passer car je crois qu’elle a quelque chose à te demander. Je t’aime fort, mon fils.
(nouveaux chuchotis)
Oui Tristan. Je voulais juste te répéter combien je suis fière de toi. Je suis folle de joie. Je vais appeler toute la famille pour les prévenir…Oh ! Avant que j’oublie, as-tu vu ta sœur ces derniers jours ?
Je l’ai vue la semaine dernière mais après j’ai passé tous mes examens donc je me suis un peu coupé du monde pour tout dire. Pourquoi ?
Parce qu’elle ne nous a pas appelés depuis six jours et que je n’arrive pas à la joindre sur son portable. Ce n’est pas son style du tout et je dois te dire que cela m’inquiète un peu… Avec tous les milieux bizarres qu’elle fréquente….
Ecoute, si cela peut te rassurer, je vais aller la voir ce matin et je t’appelle ; ou mieux : je lui demande de t’appeler pour te rassurer. Ok ?
D’accord. Merci chéri.
Le reste de la conversation tourna autour de son entrée à l’école, de ce qu’il avait à préparer, de sa venue en France ou de la venue de ses parents à Océanopolis. Sa mère voulait à tout prix faire une grande fête pour l’évènement. Et même si son père ne disait rien, Tristan savait qu’il n’en était pas moins fier.
Si sa mère ne lui avait pas rappelé sa visite à Théa, sa petite sœur, il aurait sans doute oublié…
Sa petite sœur avait toujours été téméraire et avec le métier qu’elle avait choisi (elle était pigiste, essentiellement pour un grand journal d’investigation), elle fréquentait souvent des gens peu recommandables. Elle avait notamment commencé sa carrière en France en écrivant un article choc sur la traite des femmes et sur la prostitution à Paris. Le sujet n’était certes pas récent mais Théa s’était beaucoup investie, allant même jusqu’à infiltrer un réseau pour être au cœur de la situation. Ces incursions dans un monde souvent malsain angoissaient énormément ses proches. Mais jusque-là, elle s’en était toujours très bien sortie et surtout, elle donnait toujours de ses nouvelles régulièrement pour que personne ne s’inquiète.
Il se prépara doucement, ne voulant pas surprendre Théa au saut du lit. Il étira sa longue silhouette hors de sa couche. Il ôta ses vêtements de la veille, avec lesquels ils avaient dormi et ouvrit le placard vitré qui occupait tout un mur de la chambre pour y pêcher un vieux caleçon gris tout déformé dans lequel il se sentait à l’aise. Il s’approcha du mur où était fixé son émetteur de musique, pas plus grand qu’une carte de crédit et commanda un morceau de rock des années quatre-vingt, que ses parents écoutaient quand il était enfant. La musique emplit tout l’appartement, venant des enceintes intégrées dans les murs de toutes les pièces.
Il attrapa un pantalon de jogging, en fredonnant, afin de faire un peu de sport. Il commença par quelques exercices sur le banc de musculation, placé à un coin de sa chambre, puis passa sur le tapis de course. Au bout d’un certain temps, ses muscles douloureux indiquèrent qu’il était temps d’arrêter. Il aimait cette sensation, preuve de l’effort fourni et du travail accompli. Il se leva du banc de musculation et fit des étirements, le torse luisant de sueur. Puis il se rendit dans la salle de bain, chantant de plus en plus fort et de plus en plus faux, et se regarda dans la glace. C’était la seule pièce aveugle de son appartement, et la lumière des néons n’était généralement pas tendre… Cependant, malgré les excès de la veille, son regard bleu perçant n’avait rien perdu de sa vivacité et son teint, bien que pâle, n’était pas brouillé. Il régla la douche sur un programme alliant massages relaxants et vivifiants.
Après sa toilette et une vaine tentative pour discipliner ses cheveux châtain clair, pourtant coupés courts, mais plein d’épis, il alla dans la cuisine en sous-vêtements et prit un solide petit déjeuner. De nouveau, il fut happé par la vue qu’il avait de chez lui. Chaque pièce de l’appartement s’ouvrait sur l’extérieur par une baie vitrée. Il avait parfois l’impression de survoler la ville. Au loin, la mer miroitait. Il se dit que quand il aurait un peu de temps, il irait à la plage, avec sa sœur pourquoi pas. Enfin s’il arrivait à mettre la main dessus…Il tenta de nouveau de joindre Théa mais eut, encore une fois, affaire à son répondeur. Il ne savait pas pourquoi mais ce silence ne lui disait rien de bon.
Il se prépara alors à sortir.
Bon sang, que sa petite sœur était exaspérante ! Elle ne pouvait pas appeler ses parents ! Elle savait bien qu’ils s’inquiétaient de les savoir si loin, surtout avec la profession qu’elle avait choisie.
Tout en pensant au sermon qu’il allait lui faire, il enfila un jean noir et un tee-shirt moulant en microfibre de la même couleur. Il chaussa ses bottes, attrapa son blouson et son casque. Il devait d’abord passer chez Théa, avant de commencer à acheter le matériel qu’on lui demandait pour son entrée à l’école. Sa mère l’étranglerait s’il oubliait le service qu’elle lui avait demandé.
La rue était baignée de soleil. Les immeubles de la rue, dont la majorité était en verre, miroitaient. Il régnait une douce chaleur. Tristan leva le nez, offrant son visage à la caresse de la bise et respira à pleins poumons. Un instant, il oublia les frasques de sa petite sœur. Il était rempli de joie à l’idée des mois qu’il allait passer à l’académie. C’était son rêve depuis si longtemps….
Il démarra son auto-propulse, qu’il avait laissé dans la rue avant de sortir avec ses amis, heureux de le sentir vibrer sans bruit entre ses jambes et entra dans le GPS l’adresse de Théa pour que le véhicule le mène à bon port, même s’il connaissait le chemin par cœur. L’engin s’éleva à une trentaine de centimètres du sol et flotta silencieusement le long des avenues.
Un samedi, si tôt le matin, les rues étaient désertes. Tristan aimait le calme qui régnait en règle générale à Océanopolis. Les architectes de la ville avaient privilégié le verre afin de se fondre dans l’environnement marin.
Partout, de hauts buildings vitrés s’élevaient vers les cieux. La nuit, la ville entière brillait de mille feux.
En dépit du fait que la cité était essentiellement peuplée d’étudiants, le taux de délinquance était exceptionnellement bas pour une agglomération de cette taille. La garde motorisée, dont il ferait partie dans moins d’un an, veillait à régler le peu d’incidents qui se produisaient et la population se sentait rassurée par leur présence.
Pris dans ses pensées, il arriva devant l’immeuble de sa sœur en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Il gara son engin dans la zone réservée aux héritiers modernes des deux roues et se dirigea à pas vifs vers l’entrée du bâtiment. Il sonna à l’interphone qui lui répondit de sa voix mécanique : « Pas de réponse, locataire absent ou non disponible ».
Il avait encore du mal à se faire à ce nouveau système d’interphone qui enregistrait de manière systématique les allées et venues des occupants des logements.
Il appuya de nouveau, sachant que l’indication donnée par l’ordinateur de contrôle serait la même.
Le jeune homme ne pouvait se satisfaire de cette réponse et une nouvelle fois depuis son réveil, il sentit un pincement d’angoisse. Ce n’était pas normal, Théa ne s’absentait jamais plus d’un ou deux jours sans donner de nouvelles au moins à sa mère.
A son emménagement, sa sœur lui avait donné le code passe pour rentrer dans son immeuble et dans son appartement en cas de nécessité. Tristan avait fait la promesse de ne s’en servir qu’en cas d’urgence afin de ne pas débarquer n’importe quand sans prévenir. Il se demanda s’il ne dramatisait pas la situation. Après tout, Théa avait peut-être tout simplement trop de travail pour appeler sa mère. Il hésita longuement, planté devant la porte, les bras ballants. C’était plus fort que lui. Une petite lumière s’était allumée quelque part dans son esprit et une petite voix lui chuchotait que sa petite sœur n’était pas simplement partie en ballade. Le frère et la sœur, malgré leurs chamailleries, avaient toujours été très proches.
Cédant à une impulsion il utilisa le code d’entrée. Une fois dans le hall vide de l’immeuble, il décida que la situation était un cas assez urgent pour utiliser le passe et que sa sœur ne lui en tiendrait pas rigueur. Enfin, il espérait…
Il se dirigea droit vers les ascenseurs et appuya sur le bouton d’appel. Il s’engouffra dans la cabine dès que la porte s’ouvrit et sélectionna le quatorzième étage où se trouvait l’appartement de sa sœur.
Son cœur battait la chamade. L’appareil ne montait pas assez vite à son goût mais il dut s’en contenter. Appuyé contre la paroi métallique, les bras le long du corps, il tambourinait nerveusement du bout des doigts contre le mur.
Une fois arrivé à l’étage, il se précipita dans le couloir, fonçant vers la porte du cent quarante-troisième appartement. Il s’apprêtait à saisir le code d’entrée quand, mu par une intuition bizarre, il clencha la porte. Elle s’ouvrit sans aucune résistance. Avec angoisse, Tristan poussa doucement le panneau de métal blindé. Il n’y avait pas un bruit dans la pièce principale. Face à lui, se trouvait le bureau d’ordinateur. L’économiseur d’écran, une photo de famille qui datait d’au moins quinze ans, tournait lentement. La chaise était renversée, ce qui n’augurait rien de bon.
Par un rapide tour dans les autres pièces, il vérifia que Théa n’était pas tout simplement dans son lit ou sous la douche, malgré le fait que l’interphone lui signalât qu’elle était sans doute sortie. Après tout, l’appareil pouvait être défaillant…
Puis, sa recherche devint frénétique, et il fouilla tous les recoins du logement.
De retour dans la pièce principale, la vue du bureau abandonné apparemment dans la hâte ne fit qu’augmenter son malaise.
Il tenta de contacter sa sœur de nouveau par téléphone mais il tombait toujours sur sa messagerie. Il laissa un troisième message insistant pour que Théa le rappelle dès qu’elle en prendrait connaissance.
Debout au milieu du salon, il avait envie de hurler. Mais bon sang, où était-elle ? Était-elle à ce point égoïste pour ignorer que sa mère s’inquiéterait de ne pas avoir de ses nouvelles ? Si elle passait la porte à ce moment précis, il la giflerait pour son indifférence aux sentiments des autres.
Frustré, il quitta l’appartement en prenant soin de verrouiller la porte.
Avant de se lancer dans son shopping de rentrée, il décida d’aller voir les locaux du journal l’Océan News, pour lequel Théa effectuait le plus régulièrement des piges. Il fallait qu’il vérifie si elle n’était pas plongée dans son travail au point d’en oublier le monde extérieur, comme cela lui arrivait parfois.
Les bureaux étaient situés dans le quartier des affaires d’Océanopolis, dans un immense immeuble de verre et d’acier. C’était samedi, jour généralement chômé par la plupart des travailleurs. Malgré cela, des milliers d’hommes et de femmes, attachés cases à la main, se pressaient vers les différents bâtiments.
Tristan entra dans la tour de l’Océan News et monta dans l’ascenseur. Il se retrouva vite au milieu d’une dizaine de journalistes, tous ayant de minuscules oreillettes bluetooth vissées à l’oreille, parlant au téléphone, tentant d’avoir les nouvelles fraîches avant d’arriver sur leurs postes de travail. Le brouhaha était difficile à supporter et le jeune homme fut heureux de quitter la cabine au vingtième étage.
Il n’était jamais venu au journal. Lorsqu’il poussa la porte, il fut happé par le mouvement perpétuel qui semblait animer les journalistes. Tous les visiophones sonnaient. Les gens s’interpellaient à travers la pièce. Plusieurs écrans de télévisions fonctionnaient, le son au maximum.
Il traversa l’immense salle de rédaction à la recherche du bureau du rédacteur en chef. Personne ne semblait s’intéresser à lui. Il trouva enfin une femme compatissante qui lui indiqua où se trouvait son chef. Il frappa à la porte vitrée de M. Chauffour. « Entrez ! » aboya une voix de stentor. Lorsqu’il pénétra dans la petite pièce, une forte odeur de cigare l’assaillit, le prenant à la gorge. Il était pourtant interdit de fumer dans les lieux publics depuis plus de trente ans, mais apparemment, le patron de Théa s’en moquait.
L’homme qui se tenait assis derrière un immense bureau, dont le plateau en verre était soutenu par d’imposants pieds métalliques, était la caricature même du rédacteur en chef, tel qu’on le présente dans les films. Il aurait pu jouer le rôle de Perry White dans un film de Superman.
Sa crinière de cheveux blancs lui conférait une certaine autorité, un air vaguement léonin. Il leva des yeux noirs et vifs sur Tristan.
C’est pour quoi ?
Vous employez ma sœur, Théa Letellier comme pigiste… commença Tristan.
Ouais et alors ?
Et bien je n’ai pas de nouvelles depuis plusieurs jours et …
Elle est majeure et vaccinée la petite ! tonna le rédacteur en chef levant les bras au ciel. Elle n’a plus cinq ans que je sache. Elle n’a pas besoin de chaperon…
Eh ! Du calme ! tempéra Tristan. Je voulais juste savoir si elle avait prévu de passer aujourd’hui.
Désolé, s’excusa le rédacteur. Je passe une sale journée… Entre les retards d’édition et les politiques qui me cherchent des poux... Enfin, cela ne vous concerne pas… Bon, quel est votre problème ?
Je vous l’ai dit, je m’inquiète pour Théa. Devait-elle venir aujourd’hui ?
Je ne sais pas, maugréa Simon Chauffour. Comme elle est pigiste, elle va et vient à sa guise. Si vous voulez plus d’informations, allez voir Raphaël. Je crois savoir que lui et votre sœur sont amis. C’est sans doute lui le mieux placé pour vous répondre.
Il se leva pour désigner un bureau, au milieu de la salle, sur lequel était penché un grand échalas brun. Puis il se laissa tomber dans son fauteuil et se replongea dans la lettre affichée sur son écran d’ordinateur.
Tristan sut que ce n’était pas la peine d’insister, qu’il n’en tirerait rien de plus et quitta le bureau pour se diriger vers le dénommé Raphaël.

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