Première nouvelle sur le blog : l'héritier

Je vous invite à lire ma première nouvelle publiée sur ce blog : 


L’héritier


            Noah enrageait.
Consigné ! Il avait été consigné dans sa chambre pour les deux semaines qu’il restait avant Noël ! Ce n’était pas la première fois que le surveillant général de l’internat le réprimandait. Il faut dire que ce n’était pas le dernier à faire l’andouille. Mais jamais il n’avait été puni aussi longtemps.
Depuis deux ans qu’il était pensionnaire ici, sa vie semblait pourtant s’améliorer. Après être allé de foyer en foyer toute son enfance, il avait enfin réussi à trouver un semblant d’équilibre. Pas facile quand on était pupille de la Nation, un enfant sans famille…
Ce qui le rendait le plus amer dans cette punition, c’est qu’il allait manquer tous les préparatifs du réveillon… A quinze ans, il était encore très attaché à Noël et toutes les traditions de fête de fin d’année. C’était le seul moment où il pouvait oublier que sa vie était loin d’être drôle et ne profiter que de l’instant présent.


            On frappa à sa porte.
-    C’est Sophie. Je t’apporte ton dîner.
La timide professeure d’histoire, qui avait son appartement dans l’enceinte de l’établissement, avait apparemment été désignée pour lui livrer son repas. Sans doute parce que c’était l’une des seules enseignantes à ne pas lui faire la morale toutes les cinq minutes.
-  Je suis vraiment désolée que tu aies été puni par Monsieur Gendron… Mais avoue que tu l’avais mérité ! Qu’est-ce qu’il t’a pris de quitter le lycée en pleine journée ? Et puis ce n’est pas une raison pour se laisser mourir de faim ! Allez ! Ouvre-moi !
Il quitta la fenêtre devant laquelle il faisait les cent pas depuis des heures pour ouvrir la porte. Les bras chargés d’un lourd plateau, Sophie attendait, un sourire méfiant sur les lèvres.
Noah la déchargea de son fardeau.
-   Merci Mademoiselle Codelle.
-   Je t’en prie. Tâche de ne pas trop ruminer…
-   Je ne…
-  Je te connais Noah ! Je sais que tu prends toujours beaucoup à cœur les punitions. Mais tu l’avais mérité. Et Monsieur Gendron n’a fait que son travail.
Derrière ses lunettes, le regard de la professeure était doux et bienveillant. Cela calma le garçon.
Sophie replaça nerveusement une mèche de ses cheveux coupés au carré, derrière son oreille.
-    Je reviendrai chercher le plateau dans une demi-heure. Ca ira ?
-    Oui Mademoiselle, merci.
Il referma la porte et s’installa à son bureau pour un repas solitaire. C’est vrai qu’il avait cherché la punition : il avait profité d’une heure de creux dans son emploi du temps pour faire un tour en ville. Ce qui lui était interdit puisqu’il était pensionnaire à temps plein. N’ayant pas de parent pour lui délivrer une autorisation de sortie, l’adolescent de quinze ans devait être accompagné d’un chaperon à chaque fois qu’il voulait quitter le lycée. Cela lui pesait bien évidemment.
Et là, il avait eu juste envie de voir les illuminations de Noël, seul pour une fois. Mais comme il faisait nuit, tout le monde s’était inquiété de son absence. Monsieur Gendron était rouge de colère quand Noah avait passé la porte de l’internat. Bien sûr la punition était tombée, immédiatement, comme un couperet.

            Après son repas, auquel il a à peine touché, il se sentit plus triste qu’en colère. Il jeta un œil à ce qui était son univers : un lit en fer forgé, une armoire, un bureau, une chaise… Ses seules sources d’évasion étaient les livres qu’il empruntait à la bibliothèque de l’école et qu’il dévorait avec avidité. Il rêvait d’un monde différent, un monde où il ne serait pas orphelin, un monde où il saurait où était sa vraie place.
Il poussa un gros soupir et alla s’assoir sur le bout de son lit. De là, il pouvait regarder par la fenêtre. Il se perdit dans la contemplation des rues enneigées et des gens pressés de rejoindre leur domicile. La nuit était tombée depuis longtemps mais la lumière de la ville empêchait de voir les étoiles.
Il dut s’assoupir quelques heures car, quand il se réveilla, le quartier au pied de l’internat était désert. Il regarda le réveil sur sa table de nuit pour constater qu’il était minuit. Il se leva péniblement et étira son corps engourdi par la position étrange qu’il avait pris pour dormir. Il tourna le dos à la fenêtre et allait se déshabiller pour se coucher quand une étrange lueur envahit toute la chambre. Il fit volte-face et se retrouva ébloui par la lumière qui pénétrait par la fenêtre.

            Quand Noah reprit connaissance, il fut d’abord saisi par un froid mordant. Une bourrasque de vent lui cingla le visage. Il ouvrit les yeux pour découvrir la ville qui filait à toute allure sous le véhicule qui le transportait. Il bondit en arrière sur la banquette sur laquelle il était affalé quelques secondes auparavant.
-  Prends un manteau dans ma hotte si tu as froid !
Le jeune homme se tourna vers la personne qui tenait les rênes du traineau. Il cligna des yeux à plusieurs reprises pour se prouver qu’il ne rêvait pas.
Le Père Noël ! L’homme en rouge fixait l’horizon, concentré sur sa conduite.
-  Tu vas finir congelé si tu ne te couvres pas un peu. La route vers le Pôle Nord est encore longue, même si nous ne voyageons pas par les chemins habituels !
Noah fit ce que Santa Klaus lui conseillait et se retrouva affublé d’un manteau écarlate bordé de fourrure blanche, trois fois trop grand pour lui.
-  Il t’ira mieux dans quelques années…
L’adolescent était complètement déboussolé. Il ne comprenait pas ce qu’il faisait là et pourquoi le Père Noël l’emmenait loin de sa pension. Mais il était tellement abasourdi qu’il n’arrivait à formuler aucune pensée cohérente, aucune question. Au bout de quelques minutes, il décida qu’il était très certainement en train de rêver et qu’il valait mieux qu’il ferme à nouveau les yeux pour dormir. Le bercement du traîneau et la douce chaleur que lui procurait le manteau eurent raison de ses dernières résistances.
Lorsqu’il se réveilla à nouveau, il était seul sur le véhicule. Il se redressa et regarda partout autour de lui. Emerveillé, il découvrit un paysage digne de contes de fée. De la neige immaculée à perte de vue. Un lever de soleil magnifique. Face à ce merveilleux spectacle, un immense chalet en bois dominait la plaine, entourée d’une forêt de sapins. Noah se demanda brièvement comment tout ceci pouvait se trouver à cet endroit désertique. Le pôle Nord était en effet recouvert d’une épaisse couche de glace, rien ne devait pouvoir y pousser…
-  Ah tu es réveillé ! s’exclama une petite voix nasillarde.
Il baissa les yeux pour découvrir un elfe aux oreilles pointues qui lui souriait au pied du traîneau.
-  Allez la marmotte ! Tout le monde t’attend à l’intérieur !
Noah quitta son perchoir, encore tout désorienté. Que faisait-il ici ? Pourquoi ? Comment ?
Il suivit le petit bonhomme jusqu’au chalet. Si tout semblait calme de l’extérieur, à l’intérieur c’était l’effervescence. La pièce avait les dimensions d’un grand hangar mais le décor était aussi riche que dans un palais : de la dorure, des bois sculptés, des tapis au sol, etc. Le garçon remarqua également plusieurs cheminées où de beaux brasiers ronflaient.
Au centre de la pièce, un tapis roulant se déployait, en serpentin. Sur celui-ci, des boîtes de toutes les tailles et de toutes les formes avançaient lentement. Une foule de lutins en salopettes vertes s’affairait autour des paquets, y ajoutant ou en retirant des objets. Une fois arrivé au bout de la chaîne, le colis était dûment empaqueté et paré d’un beau nœud. Il allait alors rejoindre une pile déjà immense au pied d’un sapin titanesque.

            Le lutin, qui avait fait entrer Noah, avait disparu et personne ne semblait vraiment prêter attention au nouvel arrivant dont l’arrivée était pourtant soi-disant attendue.
-  Tu es enfin réveillé ! constata le Père Noël.
Il se tenait sur la droite du jeune homme, devant la porte de ce qui devait être son bureau. Il avait ôté son bonnet laissant apparaître ses cheveux blanc coiffés en arrière. Son manteau avait aussi disparu et Noah retint un sourire en voyant les bretelles qui tenaient son pantalon.
-  Suis-moi, je vais te présenter !
- Attendez ! s’exclama le jeune homme en retenant le colosse par le bras. Expliquez-moi avant ce que je fais ici !
Le Père Noël le regarda avec surprise, un sourcil levé. Il caressa sa longue barbe en marmonnant :
-  Voilà qui est intéressant…
-  Je ne sais pas qui vous êtes et ce que vous me voulez. Mais ceux de l’internat ne vont pas manquer de remarquer ma disparition et vous allez avoir de gros ennuis pour m’avoir enlevé comme ça… en pleine nuit… Un kidnapping, ça peut vous valoir pas mal d’années de prison !
Noah essayait de se montrer menaçant mais il n’était guère convaincant. D’ailleurs, l’homme en rouge éclata de rire :
-   Ha ha ha ! Elle est bien bonne celle-là !
-   Je ne vois pas ce qu’il y a de drôle !
-   Allez ! Je vais te faire visiter, annonça le Père Noël en donnant une grande claque dans le dos du jeune homme qui trébucha. Nous avons du pain sur la planche.

Il l’emmena au début de la chaîne de fabrication des cadeaux et lui expliqua le fonctionnement de son atelier de bout en bout. Puis ils revinrent vers le bureau. Il était assez vaste et une baie vitrée courait sur tout un côté. On y voyait l’étendue blanche de la banquise. Noah se demanda fugacement pourquoi un paysage aussi désertique pouvait être aussi apaisant.
Arrivé au milieu de la pièce, le garçon tourna lentement sur lui-même, impressionné par l’endroit. La décoration rappelait celle de l’atelier mais, ici, le Père Noël avait indéniablement laissé sa trace. L’un des murs était recouvert de lettres. A l’écriture enfantine, Noah comprit tout de suite qu’il s’agissait des listes de souhaits des enfants. Il y en avait des milliers, voire des millions. Elles se chevauchaient, punaisées sur la paroi, du sol au plafond. Il y avait même une échelle posée contre le mur pour atteindre celles du haut.
L’autre mur était composé d’écran d’ordinateur. Sur les uns, plusieurs boîtes mails étaient ouvertes et des centaines de courriels attendaient d’être lus. Sur les autres, des listes de prénoms suivis d’un âge et d’un pays. Certains étaient en rouge et d’autres en vert.
Sur le bureau du Père Noël, un meuble imposant, il y avait un énorme livre, qui semblait très ancien, et un ordinateur portable à la coque rouge. Derrière, il y avait de nombreuses armoires de classements. L’une d’entre elles était ouverte et laissait voir plusieurs livres semblables à celui posé sur le bureau.
-  Voici mon lieu de travail, enfin la plupart de l’année, quand je ne suis pas en tournée… Comme tu l’as compris, je compile ici les listes de tous les enfants du monde, par courrier ou par mail. Eh oui, il a fallu que je m’adapte aux nouvelles technologies… Bref, je note leur souhait, je compare à ma liste de bonne tenue.
-   De bonne tenue ?
-   Qui s’est bien tenu pendant toute l’année et qui n’a pas été sage, expliqua le Père Noël. Après, je note sur mon grimoire. Comme tu vois, c’est un travail de longue haleine. Pas de jour de congé au Pôle Nord !
-  Mais pourquoi vous me racontez tout ça ? demanda Noah. Qu’est-ce que je fais ici ?
-  Ah oui… C’est vrai que je ne t’ai pas encore dit qui tu étais… Bien… assieds-toi.
-  Non, je peux rester debout.
-  Comme tu voudras… Voilà… Tu es mon héritier.
Noah se laissa tomber sur le fauteuil que le Père Noël lui désignait quelques secondes auparavant.
- Tous les cinq cents ans, le Père Noël en place doit prendre sa retraite et passer le flambeau à son héritier. C’est ainsi depuis la nuit des temps. Ce Noël est le dernier pendant lequel j’officierai. L’année prochaine, ce sera ton tour.
-  Mais pourquoi moi ?
-  Ce n’est pas moi qui ai choisi.
L’homme en rouge désigna une petite machine cachée derrière l’un des grands meubles de classement. Il s’agissait d’une de ces boules à neige, qui représente un paysage miniature et qu’on agite pour faire tomber de la neige artificielle.
-  Quand vient le moment de la retraite, on secoue la boule de la fortune et le nom d’un successeur apparaît. Je vois que cette nouvelle te retourne… Je comprends… Moi aussi quand on me l’a annoncé, je n’ai pas voulu y croire. J’ai même quitté l’atelier en pleine nuit. Comme tu t’en doutes, c’était une très mauvaise idée. Affronter la banquise est déjà très difficile en pleine journée, alors imagine dans le noir le plus complet… Bref, il va te falloir du temps pour comprendre ce qui se passe. C’est normal… Je vais t’emmener dans ta chambre. Tu pourras te reposer avant le déjeuner.

Noah se tenait devant la fenêtre de sa chambre, comme il l’avait fait la veille à l’internat. Le paysage qu’il contemplait était tout autre. Ici, nul trottoir enneigé et glissant, nul passant pressé de rejoindre son foyer. Juste la neige et la glace à perte de vue. Tout ce blanc l’hypnotisait.
Il n’arrivait pas à réfléchir à ce que le Père Noël lui avait annoncé. Trop d’éléments contradictoires se bousculaient dans son esprit : comment pouvait-il être l’héritier du Père Noël, il n’avait que quinze ans ? Il avait toujours rêvé d’une vie extraordinaire, mais une vie vouée entièrement aux autres était-ce vraiment ce qu’il voulait ? Comment avaient réagi ceux de l’internat à sa disparition ?
Quand le même lutin que celui qui l’avait fait entrer dans le chalet quelques heures plus tôt vint le chercher pour le déjeuner, il était encore aussi abasourdi que dans le bureau.
L’immense salle à manger qui occupait le premier étage du chalet avait des allures de salle de bal, décorée sur le thème de Noël bien évidemment. Noah sentit un grand sourire se dessiner sur son visage, en entrant dans la pièce. Ici, tout n’était que chaleur, amour et joie de vivre.
Et si c’était vraiment sa place ? Toute sa vie il n’avait connu que peu de bonheur mais il avait toujours aimé la période de Noël. C’était peut-être parce qu’au fond de lui, il savait qu’il était destiné à donner de la joie aux autres en cette période de fête.
Il décida qu’il laisserait le Père Noël lui montrer tout ce qu’il souhaitait lui transmettre. Après tout qu’avait-il à perdre ?

****

            Noah traversa le grand atelier, en fermant son manteau rouge. Il enfila bonnet et moufles, prêt à affronter le grand froid qu’il régnait dehors.
- Alors Noah ? C’est le grand soir ? l’interpela un lutin chargé d’un lourd paquet.
-  Oui Hugo. C’est le grand soir, confirma le garçon avec un grand sourire.
Il gagna le hangar et s’installa à côté du Père Noël, sur le traineau. Il avait profité de l’expérience du vieil homme pendant les deux dernières semaines. Rapidement, il s’était senti chez lui dans le grand chalet. Les lutins l’avaient accueilli comme l’un des leurs ou, plutôt, comme le futur patron. Et dans son instructeur, il avait trouvé le père qu’il n’avait jamais eu.
Cette nuit, il allait assister à sa première distribution de cadeaux. Son excitation allait grandissante depuis le matin.
-  Prêt fiston ? lui demanda Santa Klaus.
-  Oh que oui !
-  Alors en route, annonça l’homme en rouge en faisant claquer ses rênes. Oh oh oh ! Joyeux Noël !



2 commentaires:

  1. Hello ! Je m'étais toujours demandé comment se passait la succession du père noël. ^^ Maintenant, au moins, je le sais. Merci !

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  2. Chut... C'est un secret ;-) Merci pour ce petit commentaire !

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