La découverte


[En jaune, le passage imposé pour mon challenge de l'été par Erick]
             
       Le Professeur McBicker se tenait devant la cathédrale d’Aix-la-Chapelle. Son cœur battait la chamade. Il tenait sa serviette en cuir, serrée contre sa poitrine. Il y était enfin ! Il rêvait de ce moment depuis tant d’années. Autant de temps d’étude, de recherches… 
Un homme au crâne dégarni se précipita à sa rencontre. Sa veste en tweed claquait derrière lui comme une voile. 
- Erick ! Quel plaisir de vous voir enfin ! s’écria le Professeur Chastel. 
Les deux hommes ne s’étaient jamais rencontrés. Ils avaient d’abord communiqué par courrier et par mail. Puis, ils avaient échangé par téléphone et sur Skype. Enfin, il y a quelques semaines, le Professeur Chastel avait annoncé à Erick qu’il pouvait venir examiner les restes qu’on attribuait à Charlemagne depuis la nuit des temps. Aujourd’hui, les avancées technologiques en matière d’ADN pouvaient tout changer : infirmer ou confirmer que les ossements conservés dans la cathédrale étaient bien ceux du célèbre empereur. 


      Les deux hommes entrèrent dans le monument, bâti en 796 et 804 par Charlemagne, par la grande porte, en granit bleu et aux battants de bronze. Erick leva le nez, toujours fasciné par le travail que pouvaient accomplir les artisans de ces époques lointaines avec si peu de moyens ! Aujourd’hui, la construction d’un simple immeuble de bureaux semblait demander tellement d’effort…
L’endroit témoignait des périodes pendant lesquelles il avait été bâti, chaque architecte essayant de laisser sa touche personnelle. 
Le jeune scientifique fut encore plus ému quand ils arrivèrent en vue de la lampe à quarante-huit becs suspendue au plafond par une chaîne de trente mètres de long. Sur le marbre se trouvait l’inscription de cuivre qui marquait autrefois le tombeau du souverain : Carolo Magno
Ils cheminèrent jusqu’à la sacristie où étaient exposés le crâne et un os de bras, ou de jambe, de Charlemagne. Puis, le professeur Chastel emmena Erick là où reposait le reste du corps de l’empereur : un magnifique tombeau en marbre blanc de paros. 

Le professeur McBicker était dans un état d'extase proche de l'évanouissement devant les célèbres os conservés à la cathédrale d'Aix-la-Chapelle. Ce squelette partiel posé sur un tissu rouge sang soyeux était bien celui de Charlemagne, mort à soixante-douze ans; c'était ce que disaient ses homologues. Il allait enfin connaître la vérité... 
Cela lui semblait trop beau pour être vrai ! 
Alors qu’ils finissaient la visite par le trône, dans la galerie du premier étage du dôme, Erick était au comble de l’excitation. Ses mains tremblaient et il avait du mal à mettre un mot devant l’autre. 
- Demain, les plus éminents de nos confrères européens assisteront avec vous à l’enlèvement des restes de notre roi. Ils seront ensuite emmenés au laboratoire où chacun pourra procéder aux examens validés par le comité. 
- J’ai vraiment hâte de me mettre au travail ! 
- Je m’en doute, c’est pour cela que je vous ai amené ici en premier, avant d’aller à l’hôtel. Mais maintenant, la cathédrale va fermer ses portes. Nous devons nous retirer. N’ayez crainte, dès demain, vous aurez le droit à un tête-à-tête avec Charlemagne ! 

      Après le dîner, Erick remonta dans sa chambre. Il avait partagé son repas avec une vingtaine de scientifiques, historiens, archéologues, etc. De nombreuses nationalités se côtoyaient, les Suisses étant majoritaires puisque c’était l’Université de Zurich qui pilotait le projet. Tous avaient la même impatience que lui à propos du lendemain. De ce fait, les conversations n’avaient tournées qu’autour de Charlemagne. Au début, cela avait enchanté le jeune scientifique. Il pouvait enfin parler de son sujet favori sans se censurer. D’habitude, dès qu’il discutait de l’empereur avec un néophyte, il captait son attention les cinq premières minutes avant de le perdre définitivement quand il commençait à entrer dans les détails. Puis, il s’était lassé des bavardages autour de la journée du lendemain. Lui aussi était excité mais il avait envie de garder ce moment unique pour lui. Pas de le partager cela avec vingt autres personnes. Mais il n’avait pas le choix… C’était le prix à payer… 
Il se déshabilla puis se rendit dans la salle de bains pour se brosser les dents. Dans le miroir, ses yeux brillaient d’une lueur étrange. Etait-ce l’excitation, l’appréhension ou la fatigue ? Il n’aurait su le dire. Néanmoins, depuis qu’il avait fait le tour de la cathédrale avec le professeur Chastel, il se sentait un peu bizarre, comme s’il avait un poids sur l’estomac. Peut-être le dîner trop copieux… 
Bref, il était temps qu’il se mette au lit ! 
Alors qu’il quittait la pièce d’eau et tournait le dos au miroir, il ne vit pas la silhouette fantomatique qui s’y reflétait et qui était attachée à chacun de ses pas. 

       Le premier sommeil d’Erick fut très agité. Il vit en rêve la journée du lendemain, encore et encore. Parfois, il trouvait l’élément déterminant pour prouver la provenance des ossements. Parfois, c’était tout le contraire. Il se réveilla en sursaut alors qu’un homme au profil de rapace et aux lunettes rondes cerclées de métal lui hurlait qu’il se trompait, que ce n’était pas le squelette de Charlemagne mais celui d’Astérix le gaulois. 
Assis dans son lit, le jeune homme, une fois son souffle repris, éclata de rire. Quel rêve complètement idiot ! 
Ses yeux s’accoutumèrent doucement à la pénombre et il constata avec surprise qu’il n’était plus dans sa chambre d’hôtel mais dans le chœur de la cathédrale d’Aix-la-Chapelle. Il se leva avec précaution et frissonna quand ses pieds nus se posèrent sur le dallage glacé. Il pouffa de nouveau : un scientifique de son niveau se retrouvant à moitié nu au milieu d’une église, il y avait de quoi sérieusement rire ! Les chandelles au-dessus de lui s’allumèrent brusquement. L’église était silencieuse. Comment aurait-il pu en être autrement au milieu de la nuit ? Erick rit à nouveau, mais cette fois, c’était plutôt nerveux. Si c’était vraiment un rêve, pourquoi sentait-il le froid à travers le fin tissu de son tee-shirt et de son caleçon ? Il regarda son bras et y releva de la chair de poule. La panique le gagna. Il remonta la nef en courant jusqu’à la grande porte, qu’il secoua comme si sa vie en dépendait. 
- A l’aide ! hurla-t-il. Je suis enfermé ici ! Est-ce que quelqu’un m’entend ? 
Seul un silence, de cathédrale, lui répondit. 
Dans la faible lumière, les statues des Saints semblaient grimacer. Chaque recoin du bâtiment religieux paraissait recéler mille et un dangers. Il entendit soudain une respiration forte et haletante. Un bruit étrange (tadam tadam) résonna bientôt. Il se concentra pour en discerner la provenance, quand il s’aperçut que c’était sa propre respiration et les battements de son cœur. Il en aurait ri s’il n’était pas si inquiet. 
Le sol gelé lui congelait les orteils. Il ne sentait presque plus ses pieds. Il se mit à trembler, de froid et de peur. 
Comment était-il arrivé là ? Qui avait amené son lit ici et surtout pourquoi ? 
- J’ai juste envie de discuter avec quelqu’un et vous m’avez semblé être une personne de bonne compagnie, annonça une voix grave. 
Dans la zone d’ombre qui restait, une haute silhouette se découpait. Elle esquissa un mouvement avant de s’avancer vers le jeune scientifique, pétrifié. Celui qui venait à sa rencontre mesurait environ un mètre quatre-vingt-cinq. C’était un bel homme, entre soixante-cinq et soixante-dix ans, à la longue barbe soignée. Il boitait légèrement, mais cela ne gâchait en rien le maintien militaire de sa démarche. Ses traits trahissaient ses origines germaniques sans aucun doute. Et on devinait à son expression qu’il n’avait pas l’habitude qu’on le contredise. Sur sa chemise d’épais coton blanc, il portait un manteau richement décoré de lys et d’aigles brodés. Etrangement, ses lourdes bottes ne produisaient aucun son sur le carrelage. 
- J’espère ne pas vous avoir effrayé, mon ami ! s’enquit Charlemagne. 

      Erick resta muet. Il se trouvait devant l’objet de ses recherches. Jamais il n’aurait pu envisager une chose aussi folle ! Lui qui rêvait d’un moment privilégié avec la dépouille de l’empereur… Il avait tant de choses à lui demander, tant de points qu’aucun scientifique, historien ou archéologue ne pourrait jamais élucider. Il ne savait pas par où commencer. 
Mais il n’eut pas le temps de réfléchir car déjà l’empereur lui demandait : 
- Alors, il paraît que pour vos contemporains, ce serait moi qui aurais inventé l’école ? 
Le scientifique sourit. C’était en effet une idée répandue, en raison d’une vieille chanson. 
- Enfin, je pense que des hommes de votre intelligence sont bien conscients que ce n’est pas la réalité… Bref, comme disait mon cher père… 
Le souverain sourit à sa propre boutade. Tout son visage s’éclaircit. La sévérité de ses traits disparut et on aurait pu le prendre pour un bon grand père, peut-être un peu bourru. 
- Je suis bien curieux d’en savoir plus sur votre époque… J’entends bien parler de technologie, d’égalité des sexes, de démocratie… Et je dois avouer que je n’y comprends rien… Expliquez-moi un peu ce qui s’est passé depuis ma mort.
- Ce serait un peu difficile, votre Majesté… Il me faudrait des journées entières pour cela… répondit Erick, ennuyé par cette demande. 
- Eh bien donnez-moi juste les grandes lignes. Commençons par le début ! Qu’en est-il de mon empire ? 
Le jeune scientifique serra les dents. Comment annoncer à Charlemagne que son territoire avait été disloqué, annexé puis reconquis, puis à nouveau morcelé, avant d’être transformé en République. Il prit son courage à deux mains et se lança : 
- A votre mort, vos trois petits fils…
Le cours d’histoire dura des heures. Curieusement, le temps semblait s’écouler différemment ici. Il faisait toujours nuit noire dehors. 
Les deux hommes s’étaient assis sur le lit d’Erick où ils conversaient comme deux vieilles connaissances. 
- Et voilà, la Vème République est en place depuis 1958. Je vous passe les récents conflits internationaux car nous serions repartis pour plusieurs heures… 
- Merci, mon ami, d’avoir étanché ma soif de connaissance. Grâce à vous, j’y vois un peu plus clair. Cependant, je suis très triste de voir que mon héritage s’est perdu… 

- Ne croyez pas cela ! Vous avez été l’un des souverains les plus importants de l’histoire de France ! C’est pour cela que je vous ai étudié toute ma vie ! 
- Eh bien ! Votre enthousiasme mérite que je vous octroie une faveur. Demandez et je ferais ce qui est en mon pouvoir pour y répondre ! 
- M’autorisez-vous à vous poser quelques questions ? 
- Vous avez jusqu’au lever du jour ! Je vous écoute ! 

      Erick abreuva alors Charlemagne d’interrogations : son enfance, ses relations avec Carloman, son frère avec qui il avait régné dans un premier temps, ses différentes campagnes militaires pour conquérir de nouveaux territoires, la révolte des Saxons, son couronnement, etc. 
Le souverain se prêta à toutes les questions sans langue de bois. 
Alors que le jour commençait à poindre par les vitraux de la cathédrale, le professeur McBicker osa une dernière question : 
- Demain, nous allons soumettre vos ossements à une batterie d’examens. Allons-nous vraiment confirmer que ce sont vos restes ? 
- A votre avis Erick ? Aurions-nous cette conversation si tel n’était pas le cas ? 
A ces mots, la silhouette de Charlemagne se dissipa. L’empereur lui fit un signe de la main et disparut définitivement. Le jeune scientifique se sentit soudain très fatigué. Ses paupières étaient si lourdes qu’elles se fermèrent toute seules. 

      Quand il ouvrit à nouveau les yeux, il avait réintégré sa chambre d’hôtel. Avait-il rêvé les évènements de cette nuit ? Il ne le saurait sans doute jamais. Néanmoins, il était désormais certain que les découvertes qui seraient faites pendant les prochains jours confirmeraient ce qu’il avait toujours su au fond de lui-même : Charlemagne avait bien été inhumé à Aix-la-Chapelle.

3 commentaires:

  1. Très agréable à lire... les personnages sont attachants! C'est curieux, je n'imaginais pas cette histoire, c'est ça qui est surprenant! On sent que tu aimes la dimension fantastique/fantaisy... Merci pour ce récit. Je voyais quelque chose de plus terre à tere autour du génome humain. Descendons-nous tous de ce grand roi qui avait soi-diant plus de 40 femmes, et des dizaines d'enfants.... Ah si Charlemagne pouvait nous conter...;) Erick Salles

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    1. D'où l'intérêt d'un extrait imposé ;-)
      En fait, je pense que j'ai orienté le récit de cette manière car j'ai plutôt pensé à ce que j'éprouverais si j'avais la chance de me trouver face à un personnage historique... Toutes les question que j'aurais envie de lui poser, etc.
      En tout cas, contente que tu aies trouvé la lecture à ton goût

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  2. Pas mal du tout ! L'intrigue est bien menée et les personnages attachants, j'ai envie de dire comme d'habitude et évidemment c'est un compliment. Le grand Charlemagne m'a particulièrement plu et le mystère qui reste entier permet de laisser libre cours à son imagination. Ca demande une suite tout ça ! ;-)

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